Cahier de bord : Ua Pou, baie de Hakahetau*

Publié le par Equipage Contre-Temps

Ou

« Quand trois lettres changent tout »

* En Marquisien prononcez Ua Pow, baie de Hakahétao

Après être passé devant la baie de l’aéroport – bon, le capitaine confirme que « piste » est bien le maximum qu’on puisse en dire, à moins qu’il existe un autre mot pour définir ce qui ressemble à un bout de goudron très court, posé entre le sable et la montagne, en montée, dans un tout petit trou de souris, entre d’énormes blocs rocheux !-, on mouille devant le village d’Hakahetau, par 8m de fond, un peu au milieu des cailloux, dans une eau bleu foncée translucide... Le mouillage a mauvaise réputation : il est rouleur et le nouveau « dock » est du grand n’importe quoi, il faut viser la vague qui monte pour attraper l’échelle très droite fixée presqu’à la sortie du dit dock et se hisser sur le béton, en se niquant les genoux – il a été fait pour les barges de l’Aranui, encore eux !... - mais la vallée est magnifique, grandiose, verte, variée, dominée par les piliers majestueux et enfin découverts ! On aimerait bien rester ici pour accueillir les cousins, si la mer est d’accord....

Ua Pou la merveilleuse, c’est donc là et c’est maintenant !!!! Ah que c’est beau !

Cahier de bord : Ua Pou, baie de Hakahetau*
Cahier de bord : Ua Pou, baie de Hakahetau*
Cahier de bord : Ua Pou, baie de Hakahetau*

On retrouve le frais des tamanus et des pistachiers qui s’étendent dès les premiers mètres derrière la mer, les enfants qui barbotent dans les trous d’eau, les mamans qui papotent à la chefferie, les mecs qui jouent au foot – genre, à peu près-, les va’ha posés à l’abris des vagues, et les collégiens qui appellent Sika pour faire le beau !

Cahier de bord : Ua Pou, baie de Hakahetau*

Une seule épicerie, un restau ouvert sur réservation, de jolies ballades à faire entre cocotiers, manguiers, et avocatiers géants, quelques acacias « pour nourrir la terre », des sites archéologiques en cours de débroussage –ici, on débrousse ! - , et des bains aux pieds des cascades quand on les aura trouvé.... tout ce qu’on aime !

Et puis, on renoue avec ce qu’on aime le plus aux Marquises : l’art de vivre et d’accueillir des marquisiens. Une seule journée à terre suffit pour que le second, on rentre au bateau avec le plein de mangues, avocats, pamplemousses – roses !-, citrons, oranges, caramboles –ici, on en fait des jus tellement c’est sucré !-, pommes Cythère, papayes, bananes...

On finit par découvrir le seul pécheur de la baie qui ne pêche qu’au fond faute d’un moteur puissant sur son petit va’ha et on papote aussi beaucoup avec les habitants. A l’occasion de la récolte de fruits pour approvisionner Tahiti, embarquée au deuxième passage de l’Aranui sur l’ile, on se fâche, avec eux, à propos des tarifs, sachant que, entendons-nous bien, « se fâcher » ici se fait à la chefferie, au milieu des enfants qui sont « à la mer », en mangeant des glaces et en papouillant les Bébés... ça va, les gros c... de capitalistes n’ont pas encore trop de mourons à se faire...vous pourrez leur dire... « Et pourquoi qu’on est fâché, alors ? » direz vous. Et ben parce que le kg de mangues, citrons verts, pamplemousses et bananes est acheté 180 FP aux producteurs de Ua Pou, moins le prix du carton ou du sac pour emballer les dits fruits, au désidérata de l’acheteur – Carrefour, entre autre-soit 100FP par paquet de 10 ou de 20 kg, depend. A Papeete, selon la saison, le kilo de citron est vendu entre 600 et 800FP... cherchez l’erreur... comme quoi, les gros c... de capitalistes ont encore de beaux jours devant eux, dans le Pacifique sud, aussi ! C’était la minute gauchiste du mousse, rassurez-vous, c’est fini, fait trop chaud pour s’énerver...

Passons donc aux brèves prolixes des rencontres de l’équipage– si le mousse ose dire, et elle ose l’écrire- :

Rose et Piero, les propriétaires du restau, proposent leur connexion Internet perso contre quelques consommations. Leur machine à laver est aussi disponible. Belle rencontre avec un homme affable. Piero, ancien majordome, a fait sa carrière sur « la Jeanne » sur 10 grands tours. Fou amoureux de sa « chouchou » et des Marquises, il est venu s’installer ici, chez sa femme, il y a 10 ans. Il est tellement tout le temps à rendre service, aux villageois comme aux voiliers, que ça en devient gênant de lui poser une question, mais tellement agréable de l’avoir comme compagnon ... on dinera certainement chez lui avec les cousins... bonne soirée en perspective, donc !

Fatima et son fils Me’ra 11 ans, qui est devenu raide dingue du gâteau bananes du mousse et est, par ailleurs, un très bon guide « pour aller là-bas, il faut prendre le tournant qui tourne! ». Fatima, elle, marquisienne pure souche, nommée Marie-Fatima par sa grand-mère très pieuse, et épouse du pécheur au fond, donne les codes de « ici, quand la mer est morte, - plate-, tu peux rester, mais quand il y a la mer de l’année – mer très forte, de 2 à 7 jours d’affilés, entre novembre et janvier-, tu dois partir. Si tu vois Nuku Hiva, c’est bon, si non, la houle est là et ça bouge ! »

Cahier de bord : Ua Pou, baie de Hakahetau*

Juliette, la sœur d’Yvonne et la mère de Brigitte – celle qui a donc appris à tout ce petit monde à tresser et qui a les yeux bleus de son grand père de Lorient, venu culbuté, il y a longtemps, une jeune demoiselle de Hakahetau, en oubliant un peu de l’épouser, dommage pour cette bonne chrétienne !-, et qui est aussi la mère de Cécilia, vous suivez ?... Elle montre à l’équipage le gardien de la vallée : le prince Poutemoka, piton monumental qui surveille Hakahetau et elle se fâche en parlant de la vallée d’à côté – Hakahau- : elle a, en effet, osé donner, à son équipe de volley ball, le nom du prince « ils ont volé son nom, c’est pas bien, il est à nous ! »

Cahier de bord : Ua Pou, baie de Hakahetau*

Brigitte, la sœur de Cécilia, la fille de Juliette et la nièce d’Yvonne, créatrice du nouveau chapeau du capitaine, vous suivez ?..., assise à l’ombre de son arbre à quenettes – fruits-bonbons qu’on avait déjà gouter à Grenade « les BOMBOM » - , en robe jaune pétard toute en fleurs, qui raconte, en éclatant de rires, ses souvenirs lourdiens – et oui, les pèlerinages à Lourdes avec les JMJ, y’en a qui les font pour de vrai !- d’ampoules aux pieds à cause des chaussures qu’ « on ne met que pour la messe, normalement », de la « foule trop grande pour y rester » à l’hippodrome de Longchamp, de la sensation de froid en plein été parisien... Elle raconte aussi, un peu attristée, les enfants qui, pour obtenir une « pièce marron, celle qui est comme une pièce d’or »- 100Francs Pacifique soit 80 cents-, vendent aux touristes, sur le bord de la route, des « cailloux fleuris » - spécialité géologique de l’ile- de n’importe quelle taille, de n’importe quelle facture. Elle y voit la perte des valeurs traditionnelles des marquisiens, celles du partage, de l’accueil, de l’hospitalité, au profit de celles de la société de consommation : paresse, perte du sens de l’effort, argent facile, ...

Yvonne, la sœur de Juliette, la tante de Cécilia et de Brigitte, toujours là ?..., est plantée sous son pamplemoussier, tout en haut de la montagne, toute seule. Elle tresse des nattes et des chapeaux, c’est familial ! Si on fait abstraction de ses multiples tentatives, plutôt maladroites, de vendre tout et n’importe quoi, il faut prendre le temps de l’écouter réinventer ses histoires. Exemple « je suis allée en France, en Bretagne, voir ma famille et le chef de vallée de Montauban, il a fait tout le kaï kaï » qui se traduit par « j’ai rencontré la famille de mon grand-père de Lorient, venu engrossé , il y a longtemps, ma grand-mère, en oubliant un peu de l’épouser, puis je suis allée au mariage de ma fille, qui a eu lieu à Montauban. Le maire avait pris en charge le vin d’honneur » !

Yvelines, elle, est graveuse sur noix de tamanu, créatrice de bijoux en graines, et aussi la reine du tirage d’oreilles des petites filles qui traversent la route sans regarder –le pape sera content de savoir qu’ici, aux Marquises, il n’y a pas que les papas qui donnent les fessées mais aussi les tatis qui allongent les oreilles !!!- On n’en est resté tout coi et le mousse s’en est frotté les siennes en compatissant avec la petite choupette. A son atelier-maison, elle offrira à l’équipage ses morceaux de châtaignes à gouter, - faut l’avouer, la texture y est et le gout, presque !- ses concombres, ses confitures et l’invitera pour un kaï kaï dominical « tout simple » !- gare aux kilos, ça sent la chèvre au coco et le poe ! -

Pierre, l’homme politique de la vallée. C’est le 4ème maire adjoint de Hakahau, en charge de la vallée – Ua Pou est une seule commune avec comme capitale Hakahau, une mairie annexe à Hakamaii et des maires adjoints dans les 5 autres vallées. Hakahetau était, jusqu’en 1920, la capitale de l’ile. Lorsque les prêtres catholiques sont arrivés, ils ont dispatché les habitants sur les deux vallées, sous prétexte de surpopulation. Bien qu’Hakahau n’est jamais eu aucune source d’eau douce, c’est cette vallée qui s’est le plus développée, les curés y déployant églises, écoles, dispensaires, .... En 1920, la capitale fut donc « déplacée » officiellement et la mairie installée à Hakahau. Hakahetau perdra, au fils des années son dispensaire, sa gendarmerie ; elle est aujourd’hui un petit village un peu perdu dans une grande vallée. Il confirme aussi à l’équipage que, pendant les périodes de « mer de l’année », les vagues entrent dans la vallée jusqu’après le terrain de foot. La dernière fois, la digue a été aplanie et les rochers supposés boucher les blocs de béton vides du dock ont fini au milieu du bassin !

Quand à Mi’ri, jeune maman couturière, elle reconnait la chance incroyable d’habiter l’une des rares maisons qui domine entièrement la baie. La vue qu’elle a de chez elle est simplement magnifique, et son accueil est à la hauteur du lieu. En échange de la fameuse recette de la papaye au rhum du capitaine, on repart le dos chargé de fruits et une invitation à revenir...c’est tellement facile et agréable !

Cahier de bord : Ua Pou, baie de Hakahetau*

Le sculpteur sur bois, Kaïha, lui, tout en maitrisant parfaitement les codes et les règles traditionnelles marquisiens du travail du bois le réinvente, le revisite, et le détourne : il crée. Un véritable artiste, souriant simplement quand ses visiteurs admirent ses chefs d’œuvres uniques et prennent du plaisir à les regarder : chaise africaine revue à la mode marquisienne avec pieds en ti’hi, coffres de rangement, repose-têtes ni japonisant, ni chinoisant - ???-, planche à râper le coco épurée ... On n’a, jusqu’à présent, jamais vu cette audace et cette façon de traduire la culture marquisienne. Pour l’équipage, c’est un coup de foudre artistique...et comme le mousse, elle a toujours sa râpe coco mais pas de planche pour la fixer, on va revenir le voir, Kaïha !

Cahier de bord : Ua Pou, baie de Hakahetau*

Et puis, à Hakahetau, il y a la « figure » du village, celui dont les enfants ont parlé dès la première ballade à terre de l’équipage mais qui était mystérieusement absent de sa maison : le sculpteur sur pierre – voir sur très gros rochers – Tereino. Assis devant son atelier « de ville », l’après-midi, il vide souvent des Hinano avec ses copains de beuverie et devient alors bavard et affable. Le matin, il travaille plus volontiers et devient alors très économe de ses mots... Tout poussiéreux, tout sec, cheveux remonté en chignon, gris de vieillerie ou de poudre de cailloux, va savoir ?, il ressemble à Tamatua Orini, le tahu’a* fantômesque sorti, mais en sommes-nous sûr, de l’imagination de Patrice Guirao – *médecin traditionnel, guérisseur, sorcier-... Vers 17h, à la fraiche, entre deux goulées, il raconte donc à l’équipage, son apprentissage avec son père, sculpteur sur bois, ses heures de polissage au « papier verré », pour apprendre les bases du métier, son désir de faire « de la pierre », mais comme il en a envie. Il est sûr que ce qu’il sait faire est inné, en ne faisant aucun lien, de fait, avec ces fameuses années à regarder son père œuvrer et on n’est pas si loin de parler du mana... Mais ce ne sera pas pour cette fois, il faudra revenir souvent pour que Tereino se livre plus... Il parle aussi de son atelier « de brousse », celui qui sert à faire les grosses pierres, installé près d’un peï peï du village de Tatahuna, site archéologique en cours de débroussage à dix minutes à pieds d’ici. Lieu inspirant et inspiré, s’il en est, quand on connait un peu la culture marquisienne ! Il est aussi un peu désolé que ces deux garçons, collégiens et internes à Hakauhau, ne fassent pas déjà « le papier verré » ; « je peux pas leur transmettre quand ils viennent en week end, ils sont en vacances, il faut pas que je l’oublie, je dois voir loin ». Et puis, il finit par dévoiler son art et sa lubie ; ne pas être copier ! Les bons jours, il crée ainsi des pièces en inventant de nouvelles techniques, les moins bons, il décide de ne plus produire pour ne pas donner de modèles aux voleurs ! - ça doit dépendre aussi du nombre de bières descendues ! - mais c’est un vrai dilemme pour lui : créer, produire et être copié ou ne pas produire pour ne pas être copié mais du coup, ne pas créer ! Ce soir-là, le mousse, en soulignant qu’on ne copie pas les mauvais ou les copieurs, que seuls les « bons » artistes le sont, le mousse, donc, le laissera songeur. En somme, c’est comme si la copie était une sorte de preuve de la qualité de l’artiste, une façon de se faire connaitre...On en restera là des réflexions artistiques pour le moment, non sans remercier tendrement Tereino pour cette rencontre.

Cahier de bord : Ua Pou, baie de Hakahetau*
Cahier de bord : Ua Pou, baie de Hakahetau*

Voilà, maintenant qu’on a fait connaissance avec tout ce très beau-bon monde, qu’on a un peu épuisé le chien matelot à courir sur les pistes et chemins forestiers, tous ombragés, de la vallée, et qu’on y a trainé les crocs, faut se concentrer et s’agiter, parce qu’on a un peu de boulot pour accueillir les cousins ;

  • on réserve le « taxi », on missionne Fatima pour les couronnes de cou,
  • on squatte le pain pour le week end,
  • on bloque le restau de Rose et Piero pour dimanche,
  • la cabine bâbord a été vidée et nettoyée le lit est fait,
  • le plein d’eau est presque plein - y’a quand même deux filles en plus à bord dont une ado ! -,
  • les coques, hélices et annexe sont nettoyées dessous-dessus-dedans
  • les fruits sont à bord, quelques légumes aussi,
  • et tout et tout...

On change aussi de place devant la baie, pas qu’on voulait vraiment le faire mais comme la chaine du Contre-Temps est tombée amoureuse, au point de l’enlacer, vous m’en direz tant, d’un bout de platier plutôt accrocheur et que visiblement, elle ne voulait pas s’en défaire, on a dû gentiment attendre le matin suivant, tôt, parce qu’il y a moins de vent et de houle, pour tenter et réussir à se désengager. On est maintenant mouillé plus près du caillou Motu Koïo, et plus loin du dock et de son rocher Motu Kivi , toujours par 8m de fonds, toujours au milieu des cailloux mais moins accaparants, semble-t-il que ce gros balourd de platier... Tout seul, toujours, et sans aucunes pollutions lumineuses...

Que demande le peuple ? Ben rien ma brav’dame, sauf d’y être !

Cahier de bord : Ua Pou, baie de Hakahetau*

On espère bien scotchés les cousins grâce à tout ça... Ils viennent de Tahiti, d’accord, mais ici,

c’est les Marquises, et c’est Ua Pou, la merveilleuse, elle est là, maintenant !!!!

PS 1

Le mousse a enfin pris le temps de décrypter la totalité de son beau patutiki, grâce au dictionnaire Hamani ha’a tuhuka te patutiki du tuhuka patutiki* Teiki Hunkena - *maitre tatoueur-...

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PS 2

Que diriez vous si vous aviez la possibilité d’admirer, au réveil, le vol majestueux d’un banc de raies Manta, juste là, devant vous, à quelques mètres du bateau, à peine dérangé par le plouf d’une tortue venue certainement aussi profiter du spectacle.... c’est à pleurer de bonheur !

Publié dans Cahier de bord

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T
Ca fout les boules.....<br /> <br /> Bisous.
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