Cahier de bord : Colombie : les 5 baies et la Punta Hermoso, en clandé
Ou
On est parti mais on n’est pas parti
Il faut le dire, la Colombie est le pays de la paperasserie ; l’ensemble des documents nécessaires à l’entrée et à la sortie de ce pays représente, en nombre, la totalité de ceux que l’équipage a engendré depuis son départ de France, en 18 mois et sur 9 pays différents !
Et on dit que c’est la spécialité de la France ….. que nenni, que nenni, ici, ils sont champions, ce sont les rois du monde !
Alors, ceci expliquant cela, et sans que cela ne soit un conseil pour personne – mais quand est plus facile comme ceci- , l’équipage a décidé de tricher un peu avec les autorités : la sortie de Colombie de Contre-Temps a lieu officiellement de Santa Marta avec un Zarpe international ( = clearance) pour Porvenir, aux San Blas, Panama.
Pour arriver là-bas, le bateau se fera quelques escales non déclarées, avec une batterie d’excuses prêtes à servir et le mousse toute aussi prête à faire la blonde- ça tombe bien, elle l’est, devenue blonde, et comme dirait le capitaine est une fille, alors blonde et est un pléonasme ! Dino en a préparé une, le fameux problème technique », mais l’équipage a décidé de plutôt la jouer « le mousse a eu est arrêté pour bien dormir, et ensuite, on repart promis» ! On verra bien….
Premier arrêt, donc : la baie Guaraca, la 3eme des 5 baies, avant Santa Marta – et oui, on repart en arrière ! - .
"Et pourquoi la 3ème" direz-vous au mousse ?
Parce qu’il est impossible d’aller à la cinquième, il y a trop de fond, ni à la quatrième parce qu’elle a été privatisée par une grande famille de Bogota et que la dite plage, elle est « protégée par des pécheurs pas aimables » - et comme l’équipage n’est pas copains avec la fameuse grande famille de Bogota, du coup, il y va pas là où ils veulent pas de visiteurs ! - , pour les autres, on s’en fout puisqu’on stoppe à la 3ème !
Voilà Contre-Temps, après deux petites heures de moteurs, mouillé, avec 3 autres voiliers qui veulent causer qu’entre eux (sic !), face à la playa de la Guaraca.
Il y a quelques pécheurs, des gentils chiens, un collectionneur de cartes de visite des voyageurs, dont la qualité de l’accueil n’a d’égal que sa persévérance à mater le cul du mousse comme un Sika chien le ferait devant une protéine volante posée sur le sol du cockpit par inadvertance, pov’bete !
L’eau est un peu fraiche, mais claire et le mousse prend le temps de nettoyer les coques – des millions de bébés chapeaux chinois et un peu de verdure ont en effet pris possession des flotteurs ! – ohlala, c’est dur de se baigner ! ...
Enfin, pour être exacte, le mousse ne pourra faire que 3 coques /4… Pas qu’elle soit faignasse, sa légendaire faculté à nettoyer les petites taches n’est pas ici remise en question, loin s’en faut, mais l’équipage a fait le mauvais choix en mouillant trop près des cailloux, et surtout en ne changeant pas de place lorsque les 3 autres bateaux, eux, le faisaient, en plein après-midi du deuxième jour, quand le ciel est devenu noir et que les montagnes se sont couvertes de nuages!
Ils se sont regroupés à l’entrée de la baie pour la nuit, pas nous….
Erreur de leur part et de la nôtre : quand l’orage et les vents descendus des contreforts de la Sierra Nevada sont arrivés, eux ont joué à « qui se dégomme la quille avant l’autre » et Contre-Temps à « j’touche, j’touche pas » !!!!
Nuit trop courte, mais sans incidents pour Contre-Temps, départ à 5H30 du matin, pour la Punta Hermoso, deuxième arrêt ….
Pour y aller à la Punta Hermoso, escale qui coupe le trajet en deux vers Cartagena des Indias – troisième arrêt prévu- et qui permet de naviguer uniquement de jour, il faut passer la pointe de Baranquilla et son delta. Indispensable de le passer de jour, pour éviter, avec grâce et délicatesse, les troncs d’arbres qui flottent et autres détritus que les bateaux en plastique n’aiment pas, mais alors, pas, du tout ! – et pour rappel, Contre-Temps est en plastique ! –
L’équipage a opté pour longer la coté au plus près, tout en restant sous la zone de 20/25 nœuds annoncés sur les fichiers grybs, pour éviter une mauvaise mer et trop de vents… Bientôt, un banc de dauphins vient faire la course entre les coques… Pestacle !
Et c’est pas pour rien, ça dépote fort, entre les coques! Sous génois seul, avec 30/35 nœuds de vent réel établi, quelques rafales aux alentours de 40, en vent arrière, on pète les 14 nœuds de vitesse maxi et la moyenne est de 7 nœuds ! Ça décoiffe !
Au moment où le mousse se dit qu’Etoile de lune – bateau dont l’équipage lit souvent les carnets de voyages – a encore exagéré quant à la dangerosité du fleuve Magdalena, elle regarde la mer au loin…. genre « Anne, ma sœur, Anne, ne vois-tu rien venir? » Contre-Temps est à 11°08'497 N et 074°51'733 W, à 3 miles nautiques de Baranquilla
« Mais qui c'est cette Anne-là ? » ….Le mousse ne sait pas qui est Anne mais elle voit une bande marron, à l’horizon…
« Qu’est-ce donc ? » demande-t-elle, à peu près, au capitaine qui sait tout, puisque c’est le capitaine.
Le capitaine reste sans voix…c'est louche, n'a t-il jamais vu ça?
Et Contre-Temps avance, et avance et s’y retrouve en plein dedans… le marron….! L’équipage n’a pas vu de troncs, seulement des herbes, des lianes, des roseaux … mais ce qu’il a vécu là est, pour lui, extraordinaire…
Incroyables vision et sensations que de voguer sur une mer de terre, qui sent l’humus, qui est épaisse et lourde… les vagues se sont aplanies, le vent, à 20-25 nœuds, ne fait que pousser le bateau pour faire le tour de Baranquilla, à moins de 2 miles nautiques des rochers et pendant 2 miles nautiques….
La Magdalena a pleuré ses alluvions, peut-être parce qu’il a plu, aussi ici, la nuit dernière… L’équipage finira tout rouge du soleil et ne se changera qu’une seule fois !
« Belle nav » comme dit le capitaine, même si il a fallu barrer pratiquement tout le temps, car le pilote n’aime pas les grosses vagues par l‘arrière !
La Punta Hermoso est en vue, on y est ! Mais là, plusieurs « surprises »:
- d’abord, si on suit les indications de la cartographie de bord Garmin, on va droit dans les cailles, sous les déferlantes ! A bord, on s’agite, on ouvre l’ordinateur avec la carto de secours, on regarde la carte papier, c’est clair : les cartes papiers et informatiques sont toutes fausses, Open cpn aussi. Il faut, en fait, faire une très grande boucle et contourner le way point suivant : N 10°55'983 ET W075°03'224 avant de rentrer dans la baie qui est bien protégée de la mer mais pas du vent
- mouiller à l'ancre dans la baie est sans doute possible mais pas avec le vent qu'il y a quand on y arrive
- il y a une marina, qui contrairement à ce que tout le monde raconte – radio ponton bonjour ! - , donc il y a une marina, qui est en fonctionnement depuis 1 an ! Les marineros sont pro, l'accueil sympa, les pontons sont cleans, il y a la wifi , des douches, une laverie, un restau. Pour un cata de 32 à 40 pieds, c'est 76000 COP la nuit, plus cher que Santa Marta mais l’équipage décide de rester quand même... et en fait, il y est resté deux nuits et n’en a payé qu’une ! Pas mal….
La marina est perdue au milieu de rien - les autres infrastructures ne sont pas finies- et, du coup, pas de sono, pas un bruit – que le vent qui souffle fort mais le marin aime le bruit du vent pour s’endormir!-. Il y a peu de bateaux à poste, beaucoup qui passent vers Cartagena ou les San Blas. Bref, pas mal du tout même si pas prévu !
Et d'après le capitaine, le petit lot qui s'occupe de la marina vaut à elle seule le stop ici! Alors…..
Voilà donc l’équipage fasse à la demoiselle de la marina qui s’en va expliquer son arrêt pas prévu ,son zarpe pas en règle et que « le mousse a eu peur des grosses vagues et a eu mal au coeur, et s'est arrêté pour bien dormir, et ensuite, on repart promis» !
Conclusion : Si tu restes 24h à cause d'un pb météo, pas de zarpe à refaire donc à repayer ! Yes ! Pour info, si + de 24h, le zarpe coute 25 dollars US parce que c'est la jeune fille de la marina qui s'en occupe, il n’y a pas d’agent ici ! . re Yes !
Et dans cette marina, il y a… devinez quoi qu’il y a ? … Allez, un effort, nous sommes en Colombie.....
Il y a l’armada nacional, qui y a un poste fixe – les coast gards, quoi !- .
Ils voient l’équipage, jouent avec le chien, demandent où qu’on va et disent qu’ils vont passer sur le bateau pour faire une inspection ! « Ben d’accord », de toute façon, on n’a pas le choix, en plus, on a déjà menti !
Grande scène du IV, acte II, tout le monde à son poste :
- Sika se tient bien, il n’aboie pas après les uniformes,
- le mousse fait sa blonde avec des signes et des onomatopées – il est rappelé ici que le mousse ne connait pas un mot d’espagnol !- explique qu’elle « a eu peur des grosses vagues et a eu mal au cœur, et pour bien dormir, et ensuite, on repart promis» !,
- le capitaine remercie chaleureusement les militaires de « l’excellent travail qu’ils font en luttant contre les narco trafiquants parce que, grâce à eux, ses enfants ne se drogueront plus » ... si, si, il a osé ! …
Bref, le commandant remplit une attestation jaune de visite et répète en espagnol-anglais chiffonné, que « c’est bien que nous nous soyons arrêtés, qu’il y avait trop de vent et que si il faut faire la même chose à Cartagena, nous n’avons qu’à montrer ce papier et ça ira avec les coast gards de la base, et qu’il ne faut pas prendre de risques et que …. ».
Après une bière de Grenade et quelques échanges sur les photos prises en navigation, ils laissent l’équipage dormir sans leur avoir dit qu’ « il ne fait jamais passer au milieu du bocca negro – delta de la Magdalena- à cause des grosses vagues, des troncs d’arbres et du vent » ! Maintenant, on le sait !
Comme ils ont donné l’autorisation de s’arrêter à Cartagena, et bien, l’équipage va y aller à Cartagena – ça tombe bien, c’est ce qu’on voulait faire de toute façon ! –
Départ à 5h, route vers Cartagena des Indias et son mur sous-marin à passer !