La guerre des 6 jours

Publié le par Equipage Contre-Temps

Au ponton à gasoil du Marin, un sistership de Contre-Temps fait les pleins. Vite fait, nous nous approchons en annexe, histoire de faire connaissance et d’échanger à propos des sempiternels problèmes de mal façon du Mahé 36 - sujet on ne peut plus récurent à bord - !

D’un coup, en voyant le capitaine de Gambao, nous nous disons - à haute voix - que ce n’est pas une bonne idée ! : c’est un monsieur vieux, très vieux, tout branlant, ses yeux sont vitreux, ses cheveux longs et blancs cachés sous un chapeau à large bord. Il a le pas mal assuré et est dur de la feuille, il ne comprend pas nos questions, nous fait répéter, s’agace de ne pas entendre et manœuvre à la « one again » son catamaran ! – les voiliers qui attendent leur tour s’écartent ! -. Dans la foulée de nos constatations plutôt désolées, une jeune et jolie femme, noire ébène, les joues et les fesses rondes comme de grosses pommes, belle comme un cœur, arrive les mains pleines de poissons. Elle coupe la parole à tout le monde et lance en un seul souffle « je acheté le poisson pas cher parce que je mange que le poisson et pas la viande et toi tu as le même bateau que moi, t’es où, moi je appelle Kim parce que j’ai décidé et toi ? ».

Nous laissons tomber nos interrogations sur la conformité du bateau, tout en répondant vaguement aux questions… ça sent la rencontre à deux balles, sans intérêt, voir pénible…on abrège.

Dans l’annexe, nous papotons et, en trois minutes, arrivons aux mêmes conclusions :

-          Il est trop vieux pour naviguer

-          Il est dangereux, il voit rien

-          Elle a fait un bon coup pour assurer son avenir

-          Ça doit pas être facile tous les jours

 

Au mouillage du Marin, une annexe jaune citron se dirige vers nous. Joni a tout de suite repérer les occupants : c’est la jeunette et le très vieux monsieur, ils viennent nous voir.

Pas envie…

Qu’est-ce qu’on fait ? Qu’est-ce qu’on dit ?

Nous plongeons nos têtes dans nos assiettes, genre « j’ai rien vu et je suis occupé ! ».

Ils passent, nous saluent, évidemment nous aussi, et bien sûr Kim fait pivoter son moteur ; les voilà au cul de Contre-Temps.

Echanges d’une banalité toute terrienne, ils vont mouiller à Sainte Anne « parce qu’ici, on ne peut pas se baigner et qu’il y a des cons qui vont trop vite et font trop de bruit ». Il s’appelle André « parce que ses parents l’ont voulu alors il n’a pas eu le choix ! ».

On se dit à plus tard et c’est bouclé.

 

Au mouillage de Sainte Anne, les occupants de l’annexe jaune citron nous saluent à chaque occasion.

Nous leur rendons la politesse. Et bien sûr Kim fait pivoter son moteur…

A chaque fois, André nous raconte son prénom, le temps où il était commerçant à Genève et celui de la guerre des Six Jours qui a changé sa vie.

Il se perd un peu dans ses phrases, il le sait, il s’arrête et dit alors « c’est parti ! » et Kim, gentiment, l’air de rien, en murmurant, lui souffle la suite, comme si de rien n’était ! Elle connaît par cœur ses histoires mais rit à chaque fois, s’étonne, pose des questions, comme si c’était la première fois. Elle nous raconte l’achat du bateau sur un coup de tête « quand j’ai vu, j’ai dit c’est ma maison ça, je suis tombée fou, c’est un coup de fou ! »…

Il l’appelle « Darling »… et il a souvent les yeux qui pétillent de ses jeux de mots malicieux ; ses mains, osseuses et torturées, racontent aussi ses histoires …

Assise à côté de lui, elle lui tient la main ou le bras, comme pour garder le contact, encore et toujours…

Nous voilà pris par le charme de la situation, du couple qu’il forme et par la curiosité d’en connaître un peu plus. L’invitation à boire un coup est lancée, ils acceptent. Suivront plusieurs diners….

 

André est un belge devenu suisse au cours de la deuxième guerre mondiale - le STO ne lui donnait aucune envie de rester au nord de l’Europe !-. Dans les années 60, il a fait de bonnes affaires, a eu des Ferrari  et des Lamborghini « pour faire des achats en France et revenir vite fait en Suisse dans la nuit, la mode n’attend pas ! » et aussi une Cadillac Eldorado « comme Elvis Presley » … Il a eu beaucoup d’amies et trois femmes –toutes plus jeunes que lui -, mais jamais d’enfants « à sa connaissance » !

Kim est de Tobago, elle a un fils - Ricardo - d’une vingtaine d’années qu’elle a au téléphone tous les dimanches ! Elle écoute Céline Dion à tue-tête – parce que Ricardo lui a offert le CD-, elle aime danser et chanter et se fâche contre Fountaine Pajot parce que le moteur « fait de l’huile » et que le lit est « impossible à faire sans se  faire du mal dans le dos » !

Elle dit d’elle « je suis en couleurs ! » et s’habille de shorts très courts ou de robes roses très longues, très moulantes avec un grand chapeau qu’elle porte fièrement et tête haute ! Elle peut ! « Je suis une tête de chapeau ! » dit-elle… et André de lui dire sereinement « Darling, ménage tes effets… »

Ils se sont rencontrés à Tobago, un matin, à 8h, dans la rue. Il sortait des bras d’une femme, ivre mort, elle l’a ramassé sur le trottoir.

Il a cherché à la revoir et lui a fait la cour dans un bus.

En Suisse, il avait tout vendu, juste après la guerre des Six jours puis était parti en bateau.

Elle a voulu voir « sa maison », elle n’est jamais repartie.

 

André nous a dit, en souriant « depuis quelques temps, le matin, j’ai du mal à me réveiller, je sens que c’est bientôt la fin ! ».

Kim ne veut pas qu’André meurt, elle pleure, en douce, cachée…

 

André a aujourd’hui 90 ans et Kim 40.

 Ils sont mariés depuis 20 ans.

La guerre des Six jours a changé leurs vies…

Kim et André

Publié dans Nos belles rencontres

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A
Waouh quelle histoire!!<br /> Et vous que faites vous?<br /> Ps : on c'est rencontré au cap vert pendant votre sortie de l'eau et revue a béquia, bateau &quot;narcose&quot; océanis473
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