Le nono qui gratte N°7 : La pêche

Publié le par Equipage Contre-Temps

Le nono qui gratte N°7 : La pêche

Le capitaine a maintenant une chronique quotidienne à Radio Marquises, 101.5, tous les mercredis.

La consigne : être le nono qui gratte - l'affreuse bestiole qui croque les peaux des visiteurs, laissant une envie de gratte terrible pendant 5 jours et souvent une infection à la clef! - .

Le maire de la Commune de Nuku Hiva a déjà fait connaître sa démangeaison chronique à la séquence du mercredi, le capitaine a donc réussi sa mission...

Les Marquises bonjour. Un frani[i] parle aux marquisiens. Moi, C’est Joni. Je suis un frani à voile. Je suis arrivé ici par la mer avec ma compagne Cécile et mon chien Sika.

Evidement, lorsqu’on qu’on navigue à la voile, on est un amoureux de la mer et de ce qu’il y a dedans. On la respecte. On essaie de vivre avec elle en bonne entende. Si elle se fâche ou qu’on la prend de haut, on n’aura jamais le dernier mot. L’océan, c’est un monstre, mais un monstre fragile. Comme la nature. Ses richesses ne sont pas inépuisables. C’est ce qu’ont montré les scientifiques depuis quelques dizaines d’années. Les mers et les océans de la planète ont été extrêmement sollicités par l’homme et aujourd’hui on sait que l’on doit protéger ce milieu extraordinaire contre l’exploitation à outrance et les agressions en tout genre qui le mette en péril. C’est pourquoi je suis très à l’écoute de tout ce qui touche la mer.

Aujourd’hui, c’est de la pêche aux Marquises dont je voudrais vous parler. Un projet, initié par la CODIM[ii], vise à ouvrir l’espace maritime des Marquises à la pêche semi-industrielle. J’ai entendu au moins deux arguments en faveur de cette politique : 1° argument, ça va donner du travail aux marquisiens. 2° argument, aujourd’hui ce sont des thoniers étrangers qui pêchent, alors, autant que ce soit les marquisiens qui fassent le travail et qui ramassent les sous. Les pêcheurs de Nuku Hiva et de Ua Pou avec lesquels j’ai discuté ne sont convaincus par aucun de ces deux arguments. Pour eux, c’est Tahiti qui va ramasser le pactole et les Marquises n’en verront pas la couleur, « comme d’habitude » ajoutent certains.

 

Je me suis donc renseigné de mon côté pour comprendre la logique de ce projet. J’ai trouvé des explications dans plusieurs documents :

Tout d’abord, sur le site de la CODIM dans « Le plan de développement économique durable 2012/ 2027 ». Ce document, de 102 pages avec heureusement beaucoup de photos, est signé par le Pays, l’Etat, et les 6 maires des Marquises. En ce qui concerne la pêche l’objectif annoncé haut et clair (p43) est de mettre en place une pêche semi-industrielle et professionnelle capable de commercialiser 1500 tonnes de thons par an et créer 60 emplois aux Marquises. Il est prévu 200 à 300 tonnes de congelés pour la consommation locale. Puis environs 120 tonnes de produits congelés expédiés par containers frigorifiques par les goélettes[iii]. Enfin 1100 tonnes de thons frais, ceux de plus de 20 kg, expédiés par avion sur Tahiti ou à l’étranger grâce à un aéroport international à construire. Le prix d’achat du poisson est prévu entre 215 et 251 Fr. le kg (p44). Voilà dans ses grandes lignes le projet CODIM. On peut rajouter que page 85 du même document, il est question de créer une aire marine protégée englobant tout l’archipel. Les Marquises deviendraient ainsi, je cite, « une référence mondiale où existerait un équilibre entre les hommes et leur milieu ». C’est beau, c’est grand, je suis ému.

 

J’ai trouvé un autre document qui s’appelle « voyage au cœur de la biodiversité exceptionnelle des îles marquises » C’est une étude qui a été commandée et cofinancée par le Pays et l’Etat. Cet ouvrage de 500 pages, avec de toute petites photos et beaucoup de chiffres, élaboré par 74 scientifiques et experts locaux, nationaux et internationaux, sert de référence pour l’inscription des Marquises à l’UNESCO. Il est écrit (p172 à 176) que le thon jaune est exploité dans le Pacifique à son maximum. Aucune augmentation des prises n’est envisageable. Le thon obèse lui, est depuis 2010, en surpêche. Le comité scientifique préconise de réduire d’au moins 32% sa pêche ; en ce qui concerne le thon blanc, pas encore de surpêche mais la vigilance est de mise.

D’autre part, un autre document émanant de l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture[iv], nous dit que « les pratiques de pêche intensives nuisent à la biodiversité de l’ensemble des milieux marins ».

Enfin, il suffit de naviguer aux Marquises pour constater que de nombreux thoniers industriels étrangers pêchent dans la plus parfaite illégalité sans que personne de leur disent rien. Les DCP[v] qu’ils perdent sont là pour le prouver.

 

Bref, toutes ces informations soulèvent un certain nombre de questions :

 

1 – Comment combiner une politique de préservation de la biodiversité, la création d’une aire marine protégée sur tout l’archipel et l’ouverture des eaux marquisiennes à la pêche semi-industrielle ? Où est la logique ? L’UNESCO sera-t-elle dupe ?

2 – Pourquoi continuer à encourager la pêche industrielle au thon puisque les scientifiques ont prouvé que l’espèce est en danger ? N’est ce pas une politique à court terme ? Demain, y auront pas le droit de manger du thon les enfants du Fenua ?

 3 – Pourquoi les thoniers tahitiens ont-ils besoin de venir pêcher aux Marquises ? Ils étaient pas bien chez eux ? Ils ont vidé la mer là-bas ?

4 – Quels sont les 60 emplois que la pêche semi-industrielle est sensée créer pour les marquisiens ? Quelles formations, à destination des Marquises, ont été mises en place pour que les marquisiens accèdent à ces emplois ? Par ce qu’aujourd’hui le SEFI[vi] , il forme à la transformation des fruits et aux plantes médicinales.

5 – Qui sont les clients des 200 à 300 tonnes réservées à la consommation locale ? Que deviennent les petits pêcheurs marquisiens qui fournissent aujourd’hui cette consommation locale ?

6 – Comment préserver l’espace maritime marquisien contre les énormes thoniers qui braconnent et pillent la ressource sans être inquiétés ?

7 Comment a été calculé le prix de vente du thon indiqué dans le rapport CODIM de 215 Fr à 251 Fr. le kg ? Y vont être content les pêcheurs locaux.

8 – Comment s’assurer que la population des Marquises est d’accord avec ce projet ?

 

Moi, je dis ça je dis rien mais il me semble que des réponses claires à ces 8 questions rassureraient tous les marquisiens qui aiment la mer et qui s’inquiètent d’un projet dont la logique peut parfois leur paraitre obscur.

A la prochaine et peut-être qu’on reparlera de la pêche. Et si vous pouviez les faire un peu moins chalala[vii] les rapports Monsieur le grand directeur. Merci pour nous.

 

 

[i] Français de métropole

[ii] Communauté de communes des iles Marquises, regroupant les 6 iles de l’Archipel

[iii] Deux navires de transport de fret font la navette 1 fois/mois entre les Marquises et les Tuamotu et Tahiti.

[iv] FAO

[v] Dispositif de pêche ; filets et bouées fixes qui concentrent les poissons au large

[vi] Equivalent du Pôle Emploi en métropole

[vii] Blabla

Publié dans Billets du capitaine

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