le nono qui gratte N°2 : le petit quai de Taiohae

Publié le par Equipage Contre-Temps

le nono qui gratte N°2 : le petit quai de Taiohae

Le capitaine a maintenant une chronique quotidienne à Radio Marquises, 101.5, tous les mercredis.

La consigne : être le nono qui gratte - l'affreuse bestiole qui croque les peaux des visiteurs, laissant une envie de gratte terrible pendant 5 jours et souvent une infection à la clef! - .

Le maire de la Commune de Nuku Hiva a déjà fait connaître sa démangeaison chronique à la séquence du mercredi, le capitaine a donc réussi sa mission...

Les Marquises bonjour. Un frani[i] parle aux marquisiens. Moi, C’est Joni. Je suis un frani à voile. Je suis arrivé ici par la mer avec ma compagne Cécile et mon chien Sika.

Lorsqu’on arrive dans un nouvel endroit, il y a des choses qui vont rendre une escale plus ou moins sympathique.

Evidemment, en premier lieu, il y a l’accueil que l’on reçoit. Et là, franchement, sans faire de lèche-savates, les marquisiens, vous êtes au top. Votre manière de recevoir les voyageurs est formidable. Vous êtes souriants, gentils, serviables, toujours prêts à discuter. Généreux aussi, en partageant de bon cœur vos fruits et vos légumes, qui, dans nos grandes traversées, nous manquent cruellement. Evidemment, nous, on n’a pas de faa’pu[ii] et heureusement que vous êtes là. Je le dis haut et fort vous êtes les champions du monde de l’accueil. Rien que pour ça l’escale aux Marquises est un plaisir émouvant et inoubliable. Surtout ne perdez pas ça. C’est un aspect merveilleux de votre identité.  Vous avez des leçons à donner à beaucoup de gens en matière d’accueil et de gentillesse.

Ensuite, il y a la beauté des paysages et là, chacune des îles a sa personnalité. Je suis, tour à tour, tombé sous le charme de chacune d’elle. Lorsqu’on me demande quelle île de l’archipel est-ce que je préfère, je les aime toutes, mais chacune d’un sentiment différent ; comme quand on a plusieurs maitresses si tu vois ce que je veux dire ; elles sont toutes nos préférées et il est impossible de choisir l’une plutôt que l’autre ; ou quand tu demandes à un frani « fromage ou désert ? » Il te répond, à coups sûrs, mets-moi les deux.

Un peu des deux alors ? Non non, beaucoup des deux.  Alors, Tahuata ou Fatu Hiva, Hiva Oa ou Nuku Hiva, Ua Pou ou Ua Huka ? Mais toutes mon capitaine, je les aime toutes. L’amour, ça ne se partage pas, ça se multiplie.

Il y pourtant encore un critère qui pourrait faire basculer ma préférence : ce sont les facilités de débarquement dans les capitales de chaque île. Si, bon an mal an, on se débrouille à peu près partout et que chacun y met de la bonne volonté, Taiohae fait figure d’exception. C’est vrai que nos dinghy[iii] sont fragiles, un peu encombrants, mais c’est le seul moyen dont nous disposons pour nous rendre à terre, faire notre avitaillement, l’eau, le gazole, enfin tout un tas de corvées qui ne nous amusent pas spécialement mais qui sont pour nous indispensables. Or à Taiohae, les opérations de débarquement et d’embarquement sont difficiles et même souvent dangereuses pour des enfants ou des personnes un peu âgées. Ici, et c’est vraiment le seul port comme ça dans les Marquises, on a l’impression qu’on dérange, qu’on n’est pas les bienvenus et personne ne cherche à améliorer les choses, bien au contraire.

 

 

 Cette hostilité s’est même manifestée par la découverte un matin d’une inscription faite à la bombe de peinture « No Tender », traduisez « pas de dinghy ». Une deuxième inscription, plus loin, « Tender » semblait vouloir nous confiner dans un endroit où le quai est inaccessible pour nous, sans escalader des pneus qui ne tiennent que par l’opération du saint esprit ou du mana[iv], comme vous voudrez. Sur les deux échelles en inox qui garnissaient une des façades du quai, l’une a été retirée soi-disant parce qu’elle branlait, et l’autre, la seule qui reste, est conçue de telle manière que son usage est difficile et qu’elle a déjà provoquée plusieurs blessures. De plus, coupée trop court, de nombreuses annexes gonflables ont rendu l’âme à marée basse. Sans compter les énormes tiges filetées rouillées très blessantes, qui dépassent ça et là. De plus, à cet endroit, les haussières des poti marara[v] viennent, au rythme de la houle et des rappels, s’embrouiller avec nos annexes et leurs moteurs qui s’en trouvent souvent détériorés. Bon, pas la peine d’insister, vous avez compris que débarquer est pour nous un calvaire. En ce moment, il n’y a pas beaucoup de voiliers, mais l’année dernière, ou quand un rallye fait escale ici, le nombre de voiliers peu atteindre la centaine et autant de dinghy !!

Je sais bien que le quai est petit, d’où son nom et que beaucoup l’utilise : les pêcheurs qui débarquent leur poisson, le préparent et le vendent le matin, les bonitiers qui viennent de Ua Pou ou de Ua Huka, avec des évasans[vi] parfois, les bateaux qui promènent les touristes des pensions où qui leur proposent de faire de la plongée, les pêcheurs à la ligne, les enfants qui jouent, les paquebots qui eux s’approprient tout un côté du quai pour débarquer des centaines de croisiéristes et certains propriétaires de poti qui veulent absolument laisser leur bateau à poste à quai alors qu’ils ne l’utilisent qu’une fois ou deux par semaine. Donc le problème n’est pas simple, je vous l’accorde. Pas facile de faire cohabiter autant de monde sur un si petit quai.

Je pense moi que juste un peu de bon sens et d’organisation suffirait. Ça serait vraiment bête que des voiliers ne viennent pas à Taiohae parce qu’ils ont entendu dire que débarquer est trop dangereux ou trop compliqué. Les nouvelles circulent vite dans le monde des voileux.

Pour attirer l’attention sur le problème nous avons tenté d’alerter différents responsables : les services de la mairie, de l’équipement, les administrateurs du territoire et d’état [vii]; j’ai pas essayé monseigneur, peut-être j’aurais dû ...  mais le petit scarabée a dit : « les montagnes des Marquises sont un peu sourdes et difficiles à bouger ». Je ne sais pas s’il a vraiment dit ça mais il aurait pu.

Enfin bon, moi je dis ça, je dis rien, mais je crois qu’à Taiohae, il est plus facile et moins dangereux d’attraper un cochon par la queue que de débarquer au petit quai en dinghy. Allez à la prochaine et je vous le jure, je ne vous parlerais pas du petit quai qui fâche.

 

 

[i] Français de métropole

[ii] Jardins cultivés

[iii] Annexe

[iv] Force, esprit venant des ancêtres, des éléments

[v] Petite embarcation en alu ou plastique, utilisée pour la pêche côtière, lagonaire et quelques transports

[vi] Evacuation sanitaire

[vii] Représentant respectivement l’Etat et le Pays aux Marquises

Publié dans Billets du capitaine

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article